PROPOSITION LX
Le désir qui naît d'une impression de joie ou de tristesse relative a une ou plusieurs parties du corps et non à toutes ses parties, ne se rapporte point à l'utilité de l'homme tout entier.
Démonstration : Supposez, par exemple, que la partie A du corps soit fortifiée par l'action d'une cause étrangère au point de prévaloir sur les autres parties (par la Propos. 6, part. 4) ; cette partie ne fera pas effort pour perdre ses forces, afin que les autres parties du corps s'acquittent de leurs fonctions. Car il faudrait lui attribuer pour cela la force ou la puissance de perdre ses forces, ce qui est absurde (par la Propos. 6, part. 3). Par conséquent, cette partie, et partant l'âme elle-même (par les Propos. 7 et 12, part. 3), s'efforcera de conserver l'état où elle se trouve. D'où il suit que le désir qui naît d'un tel sentiment de joie ne se rapporte point à l'homme tout entier. Que si on suppose, au contraire, que la partie A soit affaiblie de façon que les autres parties l'emportent sur elle, la même démonstration sert à prouver que le désir, qui proviendrait en ce cas d'un sentiment de tristesse ne se rapporte pas à l'homme tout entier. C. Q. F. D.
Scholie : Comme la joie se rapporte la plupart du temps à une seule partie du corps (par le Schol. de la Propos. 44, part. 4), nous désirons la plupart du temps de conserver notre être d'une manière aveugle et sans égard à la conservation de notre santé. Joignez à cela que les désirs dont notre âme est le plus fortement possédée n'ont de rapport qu'au présent et non à l'avenir (par le Coroll. de la Propos. 9, part. 4).
PROPOSITION LXI
Tout désir qui naît de la raison ne peut être sujet à l'excès.
Démonstration : Le désir, considéré d'une manière absolue, c'est (par la Déf. 1 des passions) l'essence même de l'homme, en tant que déterminée de telle ou telle façon à une certaine action ; d'où il suit que le désir qui naît de la raison, c'est-à-dire (par la Propos. 3, part. 3) qui se forme en nous, en tant que nous agissons, c'est l'essence même de l'homme ou sa nature, en tant que déterminée à accomplir les actions qui se conçoivent d'une manière adéquate par cette seule essence (en vertu de la Déf. 2, part. 3). Si donc ce désir pouvait être sujet à l'excès, il faudrait que la nature humaine, prise en soi, pût s'excéder soi-même, c'est-à-dire que sa puissance excédât sa propre puissance, ce qui est une contradiction manifeste. D'où il faut conclure que ce désir ne peut avoir d'excès. C. Q. F. D.
PROPOSITION LXII
L'âme, en tant qu'elle conçoit les choses selon la raison, est affectée de la même manière par l'idée d'une chose future ou passée et par celle d'une chose présente.
Démonstration : Tout ce que l'âme conçoit selon la raison, elle le conçoit sous un même caractère d'éternité ou de nécessité (par le Coroll. 2 de la Propos. 44, part. 2) et avec la même certitude (par la Propos. 43 et son Schol., part. 2). Par conséquent, que l'idée ait pour objet une chose future, ou passée, ou présente, l'âme le concevra avec la même nécessité et la même certitude, et, dans les trois cas, l'idée sera également vraie (par la Propos. 41, part. 2), c'est-à-dire (par la Déf. 4, part. 2) qu'elle aura également toutes les propriétés d'une idée adéquate. Il faut donc conclure que l'âme, en tant qu'elle conçoit les choses selon la raison, est affectée de la même manière par l'idée d'une chose future ou passée et par celle d'une chose présente. C. Q. F. D.
Scholie : Si nous pouvions avoir une connaissance adéquate de la durée des choses, et déterminer par la raison le temps de leur existence, nous regarderions du même oeil les choses futures et les choses présentes ; un bien à venir nous inspirerait le même désir qu'un bien présent, et on ne négligerait pas tant le bien présent pour de plus grands biens qu'on espère dans l'avenir ; enfin (et nous le démontrerons tout à l'heure), on ne désirerait pas un bien actuel quand on saurait qu'il doit causer plus tard un certain mal. Mais nous ne pouvons avoir de la durée des choses qu'une connaissance inadéquate (par la Propos. 31, part. 2), et notre imagination seule détermine le temps de leur existence (par le Schol. de la Propos. 44, part. 2). Or l'imagination n'est pas affectée de la même façon par une chose présente et par une chose à venir ; et de là vient que la vraie connaissance que nous avons du bien et du mal n'est qu'une connaissance abstraite ou générale, et que le jugement que nous portons sur l'ordre des choses et l'enchaînement des causes, afin de déterminer ce qui nous est présentement bon ou mauvais, est un jugement plus imaginaire que réel. Il ne faut donc point s'étonner que le désir qui naît de la connaissance du bien et du mal, en tant que relative à l'avenir, puisse être si facilement empêché par le désir des choses qui nous sont actuellement agréables. Sur ce point, voyez la Propos. 18, part. 4.
PROPOSITION LXIII
Quiconque obéit à la crainte et fait le bien pour éviter quelque mal, n'est point conduit par la raison.
Démonstration : Toutes les passions qui se rapportent à l'âme, en tant qu'elle agit, c'est-à-dire (par la Propos. 3, part. 3) à la raison, ne sont autre chose que des affections de joie ou des désirs (par la Propos. 59, part. 3), et par conséquent (en vertu de la Déf. 13 des passions), celui qui obéit à la crainte et fait le bien par peur du mal n'est point conduit par la raison. C. Q. F. D.
Scholie : Les hommes superstitieux qui aiment mieux tonner contre les vices qu'enseigner les vertus, et qui, s'efforçant de conduire les hommes non par la raison, mais par la crainte, les portent a éviter le mal plutôt qu'à aimer le bien, n'aboutissent à rien autre chose qu'à rendre les autres aussi misérables qu'eux-mêmes ; et c'est pourquoi il n'est point surprenant qu'ils se rendent presque toujours odieux et insupportables aux hommes.
Corollaire : Le désir qui provient de la raison nous fait aller en bien directement ; il ne nous éloigne du mal que d'une manière indirecte.
Démonstration : En effet, le désir qui provient de la raison ne peut avoir son principe que dans un sentiment de joie qui n'a pas le caractère d'une affection passive (par la Propos. 59, part. 3), c'est-à-dire (par la Propos. 61, part. 4) qui ne peut avoir d'excès ; et elle ne peut naître d'un sentiment de tristesse. D'où il suit (par la Propos. 8, part. 4) que ce désir provient de la connaissance du bien et non de celle du mal, et enfin que la raison nous fait désirer le bien directement, et ne nous éloigne du mal que d'une manière indirecte. C. Q. F. D.
Scholie : Ce corollaire devient très clair par l'exemple d'un malade et d'un homme en santé. Le malade prend des aliments qui lui répugnent par crainte de la mort ; l'homme en santé se nourrit avec plaisir, et de cette façon il jouit mieux de la vie que s'il craignait la mort et avait pour but immédiat de s'en préserver.
PROPOSITION LXIV
La connaissance du mal est une connaissance inadéquate.
Démonstration : La connaissance du mal, c'est la tristesse, en tant que nous en avons conscience (par la Propos. 8, part. 4). Or, la tristesse, c'est le passage de l'homme à une moindre perfection (par la Déf. 3 des pass.), et par conséquent, elle ne se peut comprendre par l'essence même de l'homme (en vertu des Propos. 6 et 7, part. 3) ; d'où il suit (par la Déf. 2, part. 3) que c'est une affection passive qui ne dépend donc point des idées adéquates (par la Propos. 3, part. 3), et enfin que la connaissance de la tristesse ou du mal est une connaissance inadéquate (par la Propos. 29, part. 2). C. Q. F. D.
Corollaire : Il suit de là que si l'âme humaine n'avait que des idées adéquates, elle ne se formerait aucune notion du mal.
PROPOSITION LXV
Entre deux biens, la raison nous fait choisir le plus grand ; et entre deux maux ; le moindre.
Démonstration : Un bien qui nous empêche de jouir d'un bien plus grand est véritablement un mal. Car le bien et le mal dépendent (comme nous l'avons montré dans la préface de cette quatrième partie) de la comparaison que nous faisons des choses, et (par cette même raison) un moindre mal est véritablement un bien ; d'où il résulte (par la Coroll. de la Propos. précéd.) qu'entre deux biens la raison nous fera désirer ou choisir le plus grand, et entre deux maux le moindre. C. Q. F. D.
Corollaire : La raison nous fera désirer un moindre mal pour obtenir un plus grand bien, et négliger un moindre bien afin d'éviter un plus grand mal. Car ce mal, que nous appelons un moindre mal, est véritablement un bien ; et ce moindre bien, au contraire, est un mal (par le Coroll. de la Propos. précéd.). D'où il résulte que nous désirons celui-là et que nous éviterons celui-ci. C. Q. F. D.
PROPOSITION LXVI
La raison nous fera préférer un plus grand bien à venir à un moindre bien présent, et désirer un moindre mal présent qui est la cause d'un plus grand bien à venir.
Démonstration : Si l'âme pouvait avoir une connaissance adéquate d'une chose future, elle en serait affectée comme par une chose présente (en vertu de la Propos. 62, part. 4). Par conséquent, en tant que nous considérons les choses suivant la raison, et c'est l'hypothèse que nous faisons dans cette proposition, il revient au même de supposer le bien et le mal dans l'avenir ou dans le présent. D'où il suit (par la Propos. 65, part. 4) que la raison nous fera préférer un plus grand bien à venir à un moindre bien présent, etc. C. Q. F. D.
Corollaire : La raison nous fera désirer un moindre mal présent qui est la cause d'un plus grand bien à venir, et dédaigner un moindre bien présent qui est la cause d'un plus grand mal à venir. Ce corollaire dépend de la Proposition précédente, comme le corollaire de la Propos. 65 dépend de cette Propos. 65 elle-même.
Scholie : Si l'on veut comparer ce qui précède avec les principes établis dans cette même partie jusqu'à la Propos 18 touchant la force des passions, on verra aisément la différence entre un homme qui se laisse gouverner par la seule passion et par l'opinion, et celui que la raison conduit. Le premier, en effet, qu'il le veuille ou non, agit sans savoir ce qu'il fait ; le second n'obéit qu'à lui-même., et ne fait rien qu'en sachant ce qu'il y a de mieux à faire dans la vie et ce qu'il désire le plus. C'est pourquoi je dis que le premier est un esclave et le second un homme libre.
Mais j'ai encore un petit nombre de remarques à ajouter sur le caractère et la manière de vivre de l'homme libre.
PROPOSITION LXVII
La chose du monde a laquelle un homme libre pense le moins, c'est la mort, et sa sagesse n'est point la méditation de la mort, mais de la vie.
Démonstration : L'homme libre, c'est-à-dire celui qui vit suivant les seuls conseils de la raison, n'est point dirigé dans sa conduite par la crainte (par la Propos. 63, part. 4), mais il désire directement le bien (par le Coroll. de la même Propos.), en d'autres termes (par la Propos. 24, part. 4), il désire agir, vivre, conserver son être d'après la règle de son intérêt propre ; et par conséquent, il n'est rien à quoi il pense moins qu'à la mort, et sa sagesse est la méditation de la vie. C. Q. F. D.
PROPOSITION LXVIII
Si les hommes naissaient libres, ils ne se formeraient aucune idée du bien ou du mal tant qu'ils garderaient cette liberté.
Démonstration : J'ai appelé libre celui qui se gouverne par la seule raison. Quiconque, par conséquent, naît libre et reste libre n'a d'autres idées que des idées adéquates, et partant il n'a aucune idée du mal (par le Coroll. de la Propos. 64, part. 4), ni du bien (puisque le bien et le mal sont choses corrélatives). C. Q. F. D.
Scholie : Il est évident, par la Propos. 4, part. 4, que l'hypothèse contenue dans la Proposition qu'on vient de démontrer est fausse et ne peut se concevoir, si ce n'est toutefois en tant que l'on regarde seulement la nature humaine, ou plutôt Dieu, considéré non comme infini, mais comme cause de l'existence de l'homme. Et c'est là une vérité qu'il semble que Moïse ait voulu représenter, ainsi que quelques autres déjà démontrées, dans son histoire du premier homme. On n'y trouve en effet d'autre puissance conçue en Dieu que celle dont il a fait usage en créant l'homme, c'est-à-dire en veillant aux seuls intérêts de l'homme ; et c'est dans ce sens qu'il faut entendre ce récit de Moïse, que Dieu défendit à l'homme libre de manger le fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, et lui déclara qu'aussitôt qu'il en mangerait, il craindrait aussitôt la mort plus qu'il ne désirerait la vie. Vient ensuite cet autre récit, que l'homme, ayant trouvé une épouse, laquelle convenait parfaitement à sa nature, reconnut qu'il ne pouvait y avoir dans la nature rien qui lui fût plus utile ; mais dès qu'il crut que les bêtes étaient des êtres semblables à lui, il commença aussitôt d'imiter leurs passions (voyez la Propos. 27 part. 3) et de perdre sa liberté. Plus tard, cette liberté a été recouvrée par les patriarches guidés par l'esprit du Christ, c'est-à-dire par l'idée de Dieu, qui seule peut faire que l'homme soit libre et qu'il désire pour les autres le bien qu'il désire pour soi-même, comme on l'a démontré plus haut (par la Propos. 37, part. 4).
PROPOSITION LXIX
La vertu de l'homme libre se montre aussi grande à éviter les périls qu'à en triompher.
Démonstration : Une passion ne peut être empêchée et détruite que par une passion contraire et plus forte (par la Propos. 9, part. 4). Or, l'audace aveugle et la crainte sont des passions qu'on peut concevoir comme également grandes (par les propos. 5 et 3, part. 4). Donc il faut à l'âme pour contenir l'ardeur une aussi grande vertu ou un aussi grand courage (voyez-en la Déf. dans le Schol. de la propos. 59, part. 3) que pour contenir la crainte ; c'est-à-dire (par la Déf. 40 et 41 des pass.) qu'il y a pour l'homme libre une aussi grande vertu à éviter les périls qu'à en triompher. C. Q. F. D.
Corollaire : On doit tenir compte à l'homme libre d'un aussi grand courage, quand il prend la fuite en de certains moments, que s'il engageait la lutte ; en d'autres termes, l'homme libre choisit la retraite comme le combat, avec un égal courage, avec une égale présence d'esprit.
Scholie : J'ai expliqué, dans le Schol. de la Propos. 59, part. 3, ce que c'est que le courage ou ce que j'entends par ce mot. Par péril, j'entends tout ce qui peut être cause de quelque mal, comme la tristesse, la haine, la discorde, etc.
PROPOSITION LXX
L'homme libre qui vit parmi des ignorants s'efforce, autant qu'il est en lui, de se soustraire à leurs bienfaits.
Démonstration : Chacun juge de ce qui est bien suivant son caractère (voyez le Schol. de la Propos. 39, part. 3). L'ignorant qui a rendu un service en estime donc le prix suivant son caractère ; et s'il s'aperçoit que l'obligé en fait moins de cas qu'il ne faut, il est saisi de tristesse (par la Propos. 42, part. 3). Or, l'homme libre désire s'unir aux autres hommes par l'amitié (en vertu de la Propos. 37, part. 4) ; mais ce qu'il veut, ce n'est pas de leur rendre des bienfaits qui leur paraissent égaux à ceux qu'il en reçoit ; il veut les conduire et se conduire lui-même par le libre jugement de la raison, et ne rien faire que ce qu'il sait être pour le mieux. Ainsi donc l'homme libre, pour éviter la haine des ignorants, pour ne pas se conformer à leurs désirs aveugles, mais bien à la raison seule, s'efforce, autant qu'il est en lui, de se soustraire à leurs bienfaits. C. Q. F. D.
Scholie : Je dis autant qu'il est en lui ; car bien que la plupart des hommes soient ignorants, il en est pourtant qui, dans les nécessités de la vie, sont capables de nous prêter secours, et le secours des hommes est le meilleur de tous : d'où il résulte qu'il est souvent nécessaire de recevoir leurs bienfaits et de leur en faire des remerciements conformes à leur caractère. Ajoutez à cela que, même en refusant un bienfait, il faut s'assurer qu'on ne prendra pas ce refus comme une marque de mépris, et qu'on ne pensera pas que l'avarice nous fait craindre d'être obligés à la reconnaissance ; car alors nos efforts mêmes pour éviter la haine des hommes les indisposeraient contre nous. Je conclus que, dans le refus des bienfaits, il y a une règle à garder, celle de l'utile et de l'honnête.
PROPOSITION LXXI
Les hommes libres seuls sont très reconnaissants les uns à l'égard des autres.
Démonstration : Les hommes libres seuls sont très utiles les uns aux autres, et unis par une étroite et réciproque amitié (en vertu de la Propos. 35, part. 4 et son premier Coroll.). Seuls ils s'efforcent de se faire du bien les uns aux autres par le zèle d'un attachement mutuel (en vertu de la Propos. 37, part. 4). Donc (par la Déf. 34 des passions) les hommes libres seuls sont très reconnaissants les uns pour les autres. C. Q. F. D.
Scholie : La reconnaissance qu'ont les uns pour les autres les hommes qu'un désir aveugle conduit est plutôt un marché ou une fourberie qu'une reconnaissance véritable.
L'ingratitude n'est point une passion, et cependant elle est honteuse, parce qu'elle est le fait d'un homme anime de sentiments de haine, de colère, ou d'orgueil, d'avarice, etc. Car je n'appelle pas ingrat un homme qui par sottise ne sait pas rendre les bienfaits qu'il a reçus, et moins encore celui que les dons d'une courtisane ne peuvent décider à satisfaire sa passion, ou qui ne consent point à recevoir les présents d'un voleur pour l'aider à cacher son vol. Un tel homme, au contraire, montre une âme ferme, puisque aucun don ne peut le corrompre et le faire consentir à sa perte ou à celle d'autrui.
PROPOSITION LXXII
L'homme libre n'emploie jamais de mauvaises ruses dans sa conduite : il agit toujours avec bonne foi.
Démonstration : Si l'homme en tant que libre, employait quelque mauvaise ruse, il agirait de la sorte par le commandement de la raison (car c'est à cette condition seule que nous l'appelons libre) ; et, par conséquent, employer une mauvaise ruse, ce serait vertu (par la Propos. 24, part. 4). D'où il résulterait (par la même Propos.) qu'il serait plus utile aux hommes, pour la conservation de leur être, d'agir par mauvaise ruse que de bonne foi ; ce qui revient évidemment à dire qu'il serait utile aux hommes de s'accorder seulement en paroles, mais, dans le fait, de se mettre en opposition les uns avec les autres ; conséquence absurde (par le Coroll. de la Propos. 31, part. 4). Donc l'homme libre, etc. C. Q. F. D.
Scholie : On me demandera peut-être si un homme qui peut se délivrer, par une perfidie, d'un péril qui menace présentement sa vie, ne trouve point le droit d'être perfide dans celui de conserver son être ? Je réponds que si la raison conseillait dans ce cas la perfidie, elle la conseillerait à tous les hommes : d'où il résulte que la raison conseillerait à tous les hommes de ne convenir que par perfidie d'unir leurs forces et de vivre sous le droit commun, c'est-à-dire à ne pas avoir de droit commun, ce qui est absurde.
PROPOSITION LXXIII
L'homme qui se dirige d'après la raison est plus libre dans la cité où il vit sous la loi commune, que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui-même.
Démonstration : L'homme qui se dirige d'après la raison n'obéit point à la loi par crainte (par la Propos. 63, part. 4), mais en tant qu'il s'efforce de conserver son être suivant la raison, c'est-à-dire (par le Schol. de la Propos. 66, part. 4) de vivre libre, il désire se conformer à la règle de la vie et de l'utilité communes (par la Propos. 37, part. 4), et conséquemment (comme on l'a montré dans le Schol. 2 de la Propos. 37, part. 4), il désire vivre selon les lois communes de la cité. Ainsi donc l'homme qui se dirige d'après la raison désire, pour vivre plus libre, se conformer aux lois de la cité. C. Q. F. D.
Scholie : Toutes ces qualités de l'homme libre que nous venons d'exposer se rapportent au courage, c'est-à-dire (par le Schol. de la Propos. 59, part. 3) à la bravoure et à la force d'âme. Et je ne crois pas nécessaire d'expliquer l'une après l'autre toutes les propriétés du courage, bien moins encore de faire voir que l'homme courageux n'a pour personne ni haine, ni colère, ni envie, ni indignation, ni mépris, et qu'il ne se laisse point exalter par l'orgueil. Car tout cela se déduit facilement des Propos. 37 et 46, part. 4, ainsi que tout ce qui concerne la vie véritable et la religion. Je veux dire que la haine doit être vaincue par l'amour, et que tout homme que la raison conduit désire pour les autres ce qu'il désire pour soi-même. Ajoutez que l'homme courageux, ainsi que nous l'avons remarque ; déjà dans le Schol. de la Propos. 50, part. 4, et dans plusieurs autres endroits, médite sans cesse ce principe, que toutes choses résultent de la nécessité de la nature divine, et en conséquence, que tout ce qu'il juge mauvais et désagréable, tout ce qui lui pareil impie, horrible, injuste et honteux, tout cela vient de ce qu'il conçoit les choses avec trouble et confusion, et par des idées mutilées ; et dans cette conviction, il s'efforce par-dessus tout de comprendre les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, et d'écarter les obstacles qui nuisent à la vraie connaissance, comme la haine, la colère, l'envie, la moquerie, l'orgueil, et autres mauvaises passions que nous avons expliqués plus haut. L'homme courageux s'efforce donc, par cela même, autant qu'il est en lui, de bien agir et de vivre heureux. Mais jusqu'à quel point l'humaine vertu peut-elle atteindre ces avantages, et quelle est sa puissance ? c'est ce que j'expliquerai dans la partie suivante.
APPENDICE
Les principes que j'ai posés dans cette quatrième partie sur la manière de bien vivre ne sont point disposés dans un ordre qui permette de les embrasser d'un seul coup d'oeil. Pour les faire sortir plus aisément les uns des autres, j'ai été obligé de les disperser un peu. Il devient donc nécessaire de les réunir ici dans un ordre régulier, en ramenant toute cette exposition à un certain nombre de chefs principaux.
CHAPITRE I
Tous les efforts de l'homme, tous ses désirs, résultent de la nécessité de sa nature propre, de façon qu'ils peuvent être conçus soit par elle seule, comme par leur cause prochaine, soit en tant qu'elle est une partie de la nature et ne peut conséquemment être conçue par soi d'une façon adéquate indépendamment des autres parties.
CHAPITRE II
Les désirs qui résultent de notre nature, de telle façon qu'ils puissent être conçus par elle seule, sont ceux qui se rapportent, à l'âme, en tant que constituée par des idées adéquates ; les autres désirs ne se rapportent à l'âme qu'en tant qu'elle conçoit les choses d'une façon inadéquate, et la force et l'accroissement de ces désirs ne doivent point être déterminés par la puissance de l'homme, mais par celle des choses extérieures. On a donc raison d'appeler les premiers d'entre ces désirs des actions, et les seconds des passions : ceux-là en effet marquent toujours la puissance de l'homme, ceux-ci au contraire son impuissance et sa connaissance incomplète et mutilée.
CHAPITRE III
Nos actions, c'est-à-dire ces désirs qui se définissent par la puissance ou la raison de l'homme sont toujours bonnes. Les autres désirs peuvent être tantôt bons, tantôt mauvais.
CHAPITRE IV
Il est donc utile au suprême degré, dans la vie, de perfectionner autant que possible l'entendement, la raison, et c'est en cela seul que consiste le souverain bonheur, la béatitude. La béatitude, en effet, n'est pas autre chose que cette tranquillité de l'âme qui naît de la connaissance intuitive de Dieu, et la perfection de l'entendement consiste à comprendre Dieu, les attributs de Dieu et les actions qui résultent de la nécessité de la nature divine. La fin suprême de l'homme que la raison conduit, son désir suprême, ce désir par lequel il s'efforce de régler tous les autres, c'est donc le désir qui le porte à connaître d'une manière adéquate et soi-même, et toutes les choses qui tombent sous son intelligence.
CHAPITRE V
Il n'y a donc pas de vie raisonnable sans intelligence, et les choses ne sont bonnes qu'en tant qu'elles aident l'homme à vivre de cette vie de l'âme qui se définit par l'intelligence. Au contraire, les choses qui empêchent l'homme de perfectionner la raison et de jouir de la vie raisonnable, ce sont les seules que j'appelle mauvaises.
CHAPITRE VI
Mais comme toutes ces choses dont l'homme est la cause efficiente sont nécessairement bonnes, il s'ensuit qu'il ne peut rien arriver de mal à l'homme, si ce n'est de la part des causes extérieures, c'est-à-dire en tant que l'homme est une partie de la nature entière, dont la nature humaine doit suivre les lois, étant forcée de s'y conformer en une infinité de façons.
CHAPITRE VII
Et il ne peut pas se faire que l'homme ne soit pas une partie de la nature et ne suive pas l'ordre universel ; mais si l'homme trouve autour de soi des individus conformes à sa nature, sa puissance s'en trouve favorisée et entretenue. Si, au contraire, il est en rapport avec des individus contraires à sa nature, il est impossible que l'équilibre s'établisse sans une grande perturbation.
CHAPITRE VIII
Tout ce que nous jugeons mauvais dans la nature des choses, c'est-à-dire capable de nous empêcher d'exister et de jouir de la vie raisonnable, nous avons le droit de nous en délivrer par la voie qui nous paraît la plus sûre, et au contraire, tout ce que nous jugeons bon, c'est-à-dire utile à la conservation de notre être et capable de nous procurer la vie raisonnable, nous avons le droit de le prendre pour notre usage et de nous en servir de toutes manières ; et à parler d'une manière absolue, le droit suprême de la nature permet à chacun de faire tout ce qui peut lui être utile.
CHAPITRE IX
Rien ne peut être plus conforme à la nature d'une chose que les autres individus de la même espèce, et conséquemment (par le Chap. 7) rien ne peut être plus utile à l'homme pour conserver son être et jouir de la vie raisonnable que l'homme lui-même quand la raison le conduit. De plus, comme nous ne connaissons rien, entre les choses particulières, qui soit préférable à l'homme que la raison conduit, personne ne peut mieux montrer la force de son génie et son habileté qu'en faisant l'éducation des hommes de telle façon qu'ils vivent sous l'empire de la raison.
CHAPITRE X
Les hommes, en tant qu'ils sont animés les uns pour les autres d'un sentiment d'envie ou de passion haineuse, sont contraires les uns aux autres, et ils sont d'autant plus à craindre qu'ils ont plus de puissance que les autres individus de la nature.
CHAPITRE XI
Ce n'est point toutefois la force des armes qui dompte les coeurs, c'est l'amour et la générosité.
CHAPITRE XII
Il est utile aux hommes au plus haut degré de se lier entre eux et de former de tels noeuds que tous les hommes tendent de plus en plus à n'être qu'un seul homme ; en un mot, il est utile aux hommes de faire tout ce qui contribue à maintenir entre les hommes des relations d'amitié.
CHAPITRE XIII
Mais ici beaucoup d'art et de vigilance sont nécessaires. Car les hommes sont de nature très diverse (ceux qui vivent selon la raison étant en bien petit nombre), et malgré cette diversité, la plupart sont envieux et plus enclins à la vengeance qu'à la miséricorde. Vivre avec chacun d'eux en se conformant à son caractère, et toutefois être assez maître de soi pour ne pas partager les passions que l'on ménage, c'est l'ouvrage d'une force d'âme singulière. Ceux au contraire qui ne savent que gourmander les hommes, qui tonnent contre les vices au lieu d'enseigner les vertus, qui brisent les âmes au lieu de les affermir, ceux-là sont insupportables aux autres et à eux-mêmes ; et c'est ce qui explique comment il s'en est rencontré plusieurs qu'une âme impatiente à l'excès et l'emportement d'un faux zèle religieux ont conduits à vivre avec les bêtes de préférence à la société des hommes : semblables à ces adolescents qui, faute de pouvoir supporter avec calme les querelles de leurs parents, se jettent dans le service militaire, bravant les charges de la guerre et la nécessité d'obéir à un tyran, sacrifiant les avantages de la vie de famille et les conseils d'un père, acceptant enfin les plus lourds fardeaux, pourvu qu'ils se vengent de leurs parents.
CHAPITRE XIV
Ainsi donc, bien que les hommes gouvernent le plus souvent toutes choses au gré de leurs passions, il y a plus d'avantages encore dans la société qui les unit qu'il ne s'y rencontre d'inconvénients. Et en conséquence, il est digne d'un homme sage de supporter avec calme les injustices de ses semblables et de montrer du zèle pour leur service, parce que tout cela sert à établir entre eux la concorde et l'amitié.
CHAPITRE XV
Les actions qui produisent la concorde sont celles qui se rapportent à la justice, à l'équité, à l'honnêteté. Car, outre les choses injustes et iniques, les hommes ne peuvent supporter celles qui passent pour honteuses et viennent du mépris des moeurs établies dans la société. Quant au moyen d'unir les hommes par l'amour, je le trouve surtout dans les actions qui se rapportent à la religion ou à la piété (voyez sur ce point les Schol. 1 et 2 de la Propos. 37, et le Schol. de la Propos. 46, ainsi que le Schol. de la Propos. 73, part. 4).
CHAPITRE XVI
Il y a une autre source de concorde entre les hommes, c'est la crainte ; mais elle exclut la confiance. Ajoutez que la crainte naît de l'impuissance de l'âme, et par conséquent ne se rapporte point à la vie raisonnable ; et j'en dis autant de la commisération, bien qu'elle semble quelquefois revêtir le caractère de la piété.
CHAPITRE XVII
Les libéralités contribuent encore à se rendre mettre du coeur des hommes, surtout de ceux qui n'ont pas les moyens de se procurer les choses nécessaires à la vie. Cependant il est clair que donner secours à tous les indigents, cela va beaucoup au delà des forces et de l'intérêt d'un particulier, les richesses d'un particulier ne pouvant suffire à beaucoup près à tant de misères. De plus, le cercle où s'étendent les facultés d'un seul homme est trop limité pour qu'il puisse s'attirer l'amitié de tout le monde. Le soin des pauvres est donc l'affaire de la société tout entière, et elle ne regarde que l'utilité générale.
CHAPITRE XVIII
Il faut encore, dans l'acceptation des bienfaits comme dans les témoignages de reconnaissance, prendre d'autres soins qui ont été indiqués au Schol. de la Propos. 70, et au Schol. de la Propos. 71, part. 4.
CHAPITRE XIX
L'amour libertin, en d'autres termes, la passion d'engendrer qui naît des sens, et en général tout amour qui a une autre cause que la liberté de l'âme, se change facilement en haine, à moins, ce qui est pire, qu'il ne devienne une sorte de délire ; et dans ce cas, la discorde lui sert d'aliment bien plus que la concorde (voyez le Coroll. de la Propos. 31, part. 3).
CHAPITRE XX
Quant au mariage, il est certain qu'il est d'accord avec la raison, à condition que le désir de l'union sexuelle ne vienne pas seulement du corps, mais qu'il soit accompagné du désir d'avoir des enfants et de les élever avec sagesse. J'ajoute encore cette condition, que l'amour des deux époux ait sa cause principale, non dans le sexe, mais dans la liberté de l'âme.
CHAPITRE XXI
L'adulation est aussi un moyen de concorde, mais un moyen d'esclave, un moyen criminel et perfide. Aussi personne ne se laisse-t-il prendre à l'adulation que les orgueilleux, qui veulent être au premier rang et n'y atteignent pas.
CHAPITRE XXII
L'abjection a un faux air de piété et de religion. Mais tout opposée qu'elle soit à l'orgueil, rien est plus près d'un orgueilleux qu'un homme abject (voyez le Schol. de la Propos. 57, part. 4).
CHAPITRE XXIII
La honte est encore un moyen de concorde, mais seulement en ce qui regarde les choses qui peuvent être cachées. Du reste, la honte étant une sorte de tristesse n'a rien à voir avec l'usage de la raison.
CHAPITRE XXIV
Les autres passions dont l'homme est l'objet, et qui naissent de la tristesse, sont directement contraires à la justice, à l'équité, à l'honnêteté, à la piété et à la religion ; et bien que l'indignation ait une apparence d'équité, il n'en est pas moins vrai que tout régime légal est impossible là où chacun se fait juge des actions d'autrui, et prend en main la défense de ses propres droits et de ceux des autres.
CHAPITRE XXV
La modestie, c'est-à-dire le désir de plaire aux hommes, fondé sur la raison, se rapporte à la piété (voyez le Schol. de la Propos. 37, part. 4). Mais si ce désir vient des passions, il se rapporte alors à l'ambition, qui, sous une fausse apparence de piété, n'enfante que discordes et séditions. En effet, celui qui désire aider ses semblables à jouir tous ensemble du souverain bien, soit en leur donnant ses conseils, soit en leur rendant des services effectifs, s'efforce avant tout de se concilier leur amour, au lieu de chercher à les frapper d'admiration, afin que son nom reste attaché à la doctrine qu'il leur enseigne ; il met, tous ses soins à ne faire naître en eux aucun sujet d'envie. Dans les entretiens publics, il s'abstient de déclamer sur les vices des hommes, et s'il parle de l'impuissance humaine, il n'en parle qu'avec mesure ; au contraire, il s'étend avec abondance sur la vertu ou la puissance de l'homme, et sur les voies où il doit marcher pour vivre, autant que possible, suivant les commandements de la raison, non par crainte ou par aversion, mais par des sentiments où domine la joie.
CHAPITRE XXVI
Excepté l'homme, nous ne connaissons dans la nature aucun être particulier dont l'âme nous puisse rendre heureux, et avec l'amitié nous puisse unir, ou tout autre lien de même espèce. Par conséquent la loi de notre intérêt ne nous ordonne point de conserver quelque être que ce soit, excepté l'homme ; elle nous dit au contraire de conserver ou de détruire les autres êtres à notre gré, selon l'usage que nous en voulons faire, et en général, de les approprier de toutes façons à notre service.
CHAPITRE XXVII
L'utilité que nous tirons des choses extérieures, pour ne rien dire des connaissances que nous peut donner l'observation de leur nature et de leurs transformations, consiste surtout dans la conservation de notre corps ; et par conséquent, les choses les plus utiles sont celles qui peuvent alimenter et nourrir notre corps de façon à ce que toutes ses parties s'acquittent parfaitement de leurs fonctions. Car plus le corps est propre à être affecté de plusieurs façons et à affecter de plusieurs façons à son tour les corps extérieurs, plus l'âme est propre à la pensée (voyez les Propos. 38 et 39, part. 4). Mais il est peu de choses dans la nature qui aient ce caractère d'utilité, et c'est à cause de cela qu'il est nécessaire pour nourrir le corps de se servir d'un grand nombre d'aliments d'espèce diverse. Ajoutez à cela que le corps humain est composé de plusieurs parties de nature différente, lesquelles ont continuellement besoin d'aliments divers afin que le corps humain soit également propre à toutes les fonctions qui peuvent résulter de sa nature, et par suite, afin que l'âme soit aussi également propre à concevoir un grand nombre de choses.
CHAPITRE XXVIII
Pour suffire à ces besoins, les forces humaines seraient trop bornées si les hommes ne s'aidaient mutuellement. Mais l'argent étant devenu le moyen de se procurer toutes choses, c'est l'image de l'argent qui occupe avant tout l'âme du vulgaire, et il ne peut se représenter aucun événement heureux sans y joindre l'idée de l'argent comme cause de toute espèce de bonheur.
CHAPITRE XXIX
Du reste, je n'entends pas attribuer cette habitude vicieuse à ceux qui recherchent l'argent par indigence ou pour les besoins de la vie, mais seulement à ces hommes habiles dans l'art du lucre qui ne songent qu'à faire un magnifique étalage de leurs richesses. Or, ces mêmes hommes, s'ils ont quelque soin de leur corps, ce n'est guère que par habitude ; et encore ne le font-ils qu'avec parcimonie, convaincus que tout ce qu'ils emploient à la conservation de leur corps est autant de perdu sur leurs biens. Mais pour ceux qui connaissent le véritable usage de l'argent et règlent sur leurs besoins la mesure de leurs richesses, ils savent vivre de peu et vivre contents.
CHAPITRE XXX
Puisqu'il est certain que toutes les choses qui aident les parties de notre corps à s'acquitter de leurs fonctions sont de bonnes choses, et que la joie consiste en ce que la puissance de l'homme, en tant que l'homme se compose d'une âme et d'un corps, est favorisée ou augmentée, il s'ensuit que tout ce qui produit en nous la joie est bon. Cependant l'action des êtres de la nature n'a point pour fin de nous donner de la joie, et leur puissance d'agir ne se règle point sur notre utilité : comme en outre la joie se rapporte le plus souvent d'une manière particulière à une partie déterminée de notre corps, il en résulte que si la raison et la prudence n'interviennent pas, les sentiments de joie tombent dans l'excès, et il en est de même du désir que ces sentiments font naître. Ajoutez à cela que le premier bien pour nos passions c'est le bien du moment, et que notre âme ne peut être touchée d'une impression égale par la prévision de l'avenir (voyez le Schol. de la Propos. 44, et le Schol. de la Propos. 60, part. 4).
CHAPITRE XXXI
La superstition semble au contraire ériger en bien tout ce qui cause la tristesse, et en mal tout ce qui cause la joie. Mais comme nous l'avons déjà dit (Schol. de la Propos. 45, part. 4), il n'y a que l'envieux qui puisse se réjouir de mon impuissance et du mal que je souffre.
A mesure, en effet, que nous éprouvons une joie plus grande, nous passons à une plus grande perfection, et par conséquent nous participons davantage de la nature divine ; la joie ne peut donc jamais être mauvaise, tant qu'elle est réglée par la loi de notre utilité véritable. Ainsi celui qui ne sait obéir qu'à la crainte, et ne fait le bien que pour éviter le mal, n'est pas conduit par la raison.
CHAPITRE XXXII
Mais la puissance humaine est très limitée, et la puissance des causes extérieures la surpasse infiniment ; c'est pourquoi nous ne disposons pas d'une puissance absolue pour approprier les objets du dehors à notre usage. Cependant nous supporterons toujours d'une âme égale les événements contraires à nos intérêts, si nous avons la conscience que nous avons accompli notre devoir, et que la puissance dont nous disposons n'a pas été assez étendue pour écarter le mal ; car nous ne sommes qu'une partie de la nature, et il faut suivre l'ordre universel. Or, aussitôt que nous aurons compris cela d'une façon claire et distincte, cette partie de notre être qui se définit par l'intelligence, c'est-à-dire la meilleure partie de nous-mêmes, trouvera dans cette idée une sérénité parfaite et s'efforcera d'y persévérer. Car en tant que nous possédons l'intelligence, nous ne pouvons désirer que ce qui est conforme à l'ordre nécessaire des choses et trouver le repos que dans la vérités. Par conséquent, notre condition véritable une fois bien connue, l'effort de la meilleure partie de nous-mêmes se trouve d'accord avec l'ordre universel de la nature.
FIN DE LA QUATRIÈME PARTIE